
RESCAPÉ DE LA RAFLE DU VEL D’HIV, ÉVADÉ DU CAMP DE TRANSIT DE BEAUNE-LA-ROLANDE A 11 ANS, LE TÉMOIGNAGE BOULEVERSANT DE JOSEPH WEISSMANN
LES SABLES D’OLONNE, 11 AVRIL 2024
Les élèves de plusieurs collèges et lycées étaient présents en cette matinée pour entendre Joseph Weissmann dans l’auditorium Saint-Michel aux Sables d’Olonne. L’accueil a été assuré par Monsieur Laurent Boche, proviseur du lycée Valère Mathé, par le professeur d’histoire Monsieur Valère Mouton qui travaille depuis de nombreuses années sur la mémoire, la présidente de la Société de la Légion d’Honneur de Vendée, partenaire de cette initiative, ainsi que des invités d’associations diverses. L’ANMONM était représentée par des membres de son comité de section.

Simone Veil en 1996 lui avait indiqué « Monsieur Weissmann, vous avez un devoir de mémoire à accomplir étant un des seuls rescapés de la Rafle du Vel d’Hiv ». Joseph Weissmann parcourt aujourd’hui la France pour faire partager auprès des jeunes son destin.
Il précise qu’il témoigne pour la jeunesse, conscient qu’elle est la France de demain. Il estime que c’est son devoir d’apporter une modeste contribution en livrant son histoire. Pendant longtemps il n’avait pas voulu s’exprimer sur ce qu’il avait vécu, jugeant que c’était une partie de son intimité, ne s’en sentant pas capable et n’ayant pas l’étoffe d’un conférencier.
Et là en 2024, il nous dit que c’est le 300ème établissement scolaire qui le reçoit…
Il a également contribué au film « La Rafle » sorti en 2010 et qui raconte son histoire, film écrit et réalisé par Roselyne Bosch avec Jean Reno, Mélanie Laurent, Gad Elmaleh et Hugo Leverdez dans le rôle de Joseph. En 2011, il a publié une bande dessinée intitulée « Après la Rafle ».
De nationalité française, Il est né à Paris le 19 juin 1931 dans une famille juive originaire de Pologne.
Sa famille vit à Paris dans le quartier Montmartre sous le régime de Vichy. Le 16 juillet 1942, son père qui était tailleur est parti livrer un costume de bonne heure le matin. Il prend le métro, portant comme toute la famille l’étoile jaune obligatoire pour tous les juifs. Il lui est conseillé de rentrer au plus vite chez lui car la journée a été annoncée mauvaise pour les juifs à Paris, ce qu’il ignorait. A midi, la sonnette retentit à la porte des Weissmann. Deux policiers rentrent dans l’appartement. Ils demandent à Madame Weissmann de préparer immédiatement une valise pour quelques jours. Son père qui a un atelier dans une chambre de bonne au 6ème étage les rejoint. Il n’aurait jamais laissé partir sa famille sans en être. Ils sont dirigés tous les cinq, le père, la mère, Joseph et ses deux sœurs vers un autobus qui les a conduits au Vélodrome d’Hiver. D’autres bus arrivent en nombre. Ce jour-là, ce sont 14 000 personnes qui ont été transférées au Vel d’Hiv. La chaleur est grande sous la verrière où se presse une énorme foule très bruyante. L’odeur est épouvantable dans cet enfermement de quatre jours sans boire ni manger. Assis sur un strapontin, Joseph ne bougeait pas et avait l’impression de ne plus exister.
Puis tous les prisonniers ont été appelés et sont montés dans un bus qui les a emmenés à la gare d’Austerlitz où stationnaient de nombreux trains de wagons à bestiaux dans lesquels on loge jusqu’à 200 personnes. Ils sont pris en charge par la gendarmerie française supervisée par la gendarmerie de l’armée allemande. Des heures d’attente s’écoulent jusqu’à ce que les 14 000 personnes arrêtées soient montées dans les trains. Puis les portes ont été plombées et les trains ont démarré. Après un arrêt vers Orléans, le train a roulé jusqu’à la gare de Beaune-La-Rolande. Il a fallu traverser un village fantomatique car il avait été demandé aux habitants de s’enfermer chez eux. Ils sont arrivés dans un camp de transit constitué de baraquements en bois emplis de lits sur trois étages, les hommes séparés des femmes et des enfants. Le père de Joseph s’est débrouillé pour que son fils soit avec lui. Ils sont restés quinze jours dans ce camp. Toute la journée se passait dehors et l’important pour tous était de parvenir à manger le midi, seul repas de la journée constitué de haricots secs périmés et charançonnés avec un morceau de pain. De temps en temps, étaient imposées des corvées comme faire une chaîne pour porter des briques pour l’agrandissement du camp ou vider les tinettes. Pour se laver, il y avait un tuyau d’eau avec des robinets tout le long et pour les toilettes, une grande planche avec un trou tous les 50 cm au vu de tous. Il faut savoir que l’on devait remettre bijoux et argent aux autorités et certains prisonniers n’avaient pas voulu et tentaient de les détruire.
Après quinze jours dans ce camp, est arrivé le jour de la déportation que Joseph Weissmann a toujours du mal à raconter. Cela a démarré par un appel, une fouille, le regroupement dans une vaste cour et le retour à la gare pour une destination que personne ne connaissait. Joseph se retrouve dans un wagon d’enfants. Un véhicule allemand avec à son bord un général nazi est venu vérifier si les ordres de Berlin étaient respectés à savoir on déporte les parents mais pas les enfants. Mais Pierre Laval, président du Conseil en France, avait déclaré qu’il fallait se débarrasser des juifs en bloc… L’officier allemand a désigné au faciès les enfants qu’on ne déporterait pas. « Vous retournez au baraquement et vous rejoindrez vos parents la semaine prochaine » a-t-il indiqué. Joseph était de ceux-là. Les scènes de séparation des enfants et de leurs mères étaient terribles et insoutenables. Les autres enfants sont montés dans le train comme les adultes pour un voyage à travers l’Allemagne et la Pologne. Ils sont arrivés au camp d’extermination. Il y avait à l’époque des camps de travail, des camps de rassemblement et des camps d’extermination. Dans ces derniers, les prisonniers étaient envoyés prendre une douche de gaz asphyxiant, tous assassinés et transportés au four crématoire ce qui a été le sort des parents et des deux sœurs de Joseph Weissmann. Il l’apprendra après la guerre bien entendu.
Depuis l’arrestation du 16 juillet, Joseph voulait s’évader. Il a demandé auprès des garçons qui l’entouraient si l’un d’eux voulait partir avec lui. Le lendemain, Jo Kogan le rejoint. S’échapper de nuit leur a semblé impossible pour traverser les 15 mètres de barbelés très épais qui entouraient le camp. Joseph avait aperçu des billets de banque dans la tinette, abandonnés par un prisonnier. Il en récupère deux discrètement. Ils partent à midi quand le camp est vide, le temps du repas. Ils entrent dans les barbelés et s’y faufilent durant des heures, griffés un peu partout, passant même sous un mirador.
Dès qu’ils parviennent à sortir du camp, ils se cachent dans la forêt, marchent la nuit et se reposent le jour durant près d’une semaine. Connaissant un peu la région, ils prennent un car jusqu’à Montargis. Pour se faire aider, ils essaient de trouver un endroit où coucher. Ils sonnent à plusieurs portes sans succès. Puis une dame les accueille et les conduit directement à la gendarmerie ce qui leur fait craindre le pire. Ils sont mis en cellule où ils passent la nuit. Les gendarmes leur ont précisé que la porte resterait ouverte. Le matin ils sortent et voient arriver un car plein. Les gendarmes demandent alors au chauffeur de les prendre prioritairement, des gendarmes bienveillants voire résistants peut-être…
Les évadés réussissent à prendre un train pour Paris puis le métro. Ils retrouvent leur quartier. Jo Kogan se rend chez sa tante et Joseph Weissmann chez un ami de ses parents. Joseph est alors accueilli quelques jours chez une dame chez qui il ne risque rien puis il intègre un orphelinat et séjourne dans plusieurs familles d’accueil. Les hôtels étaient contrôlés, les orphelinats également. Quand la police venait, elle demandait « où sont les deux Joseph ? ». Il est ensuite transféré dans un orphelinat plus important. Puis il est emmené dans un village de la Sarthe où il y avait des enfants cachés. Placés avec deux petites filles chez une lavandière, il est malheureux car elle s’avère hostile et fait subir des humiliations aux enfants. Elle cache des enfants et est payée pour cela. Les allemands viennent chercher leur linge. Elle leur dit un jour que trois des enfants sont ses petits-enfants et que les autres ce sont trois petits juifs. Là encore Joseph a de la chance car le sous-officier allemand lui a dit « Madame, il ne faut pas dire des choses comme cela, c’est dangereux ». Un homme bienveillant là encore en pleine guerre…
Joseph avait 11 ans. Il restera le plus jeune français évadé de guerre. Il recevra à ce titre la médaille des évadés de guerre normalement réservée aux adultes.
En 1944, c’est la Libération. La ville du Mans a ouvert un orphelinat pour accueillir les enfants cachés dans la Sarthe et les départements limitrophes. Une dame juive venait à l’orphelinat pour prendre un enfant chez elle tous les dimanches. Joseph y est accueilli et sera formidablement aimé dans cette famille. Il a été atteint à l’adolescence d’une primo infection qui a entraîné plusieurs mois d’hôpital puis un séjour dans un sanatorium à Megève.
Non scolarisé toutes ces années de guerre, il aura la chance de suivre une formation d’aide-comptable à l’école Pigier, établissement réputé à cette époque. Ensuite il travaillera dans le magasin de meubles tenu par la famille qui l’a accueilli. A cette période il croyait encore que ses parents et ses sœurs étaient susceptibles de revenir, sachant que les russes avaient libéré le camp d’Auschwitz. Les salles de cinéma commençaient à diffuser des films d’actualité racontant l’élimination des juifs. Il a dû admettre qu’il ne reverrait jamais les siens.
De 1951 à 1953, Joseph Weissmann part au service militaire. A son retour, il prend la direction du magasin de meubles aux côtés de celle qu’il considère comme une mère adoptive. Il y a beaucoup travaillé et en a fait un commerce florissant. Il vit désormais normalement. Les traumatismes de la guerre s’estompent au fil des années mais ne disparaissent jamais. Il se marie et aura trois enfants et six petits-enfants.
Il a revu Joseph Kogan, qui vivait aux Etats-Unis, plusieurs fois avec beaucoup d’émotion, et ensemble ils ont refait le parcours de leur évasion pour se souvenir.
Les souvenirs restent et la nécessité de partager son histoire personnelle est importante dans la vie de Joseph Weissmann. Il diffuse le message du rescapé de la Shoah et fait vivre la mémoire du génocide juif. Agé aujourd’hui de 93 ans, il continue à poursuivre ce devoir de mémoire et à lutter contre la haine, l’intolérance et la guerre afin que l’horreur ne se reproduise pas. « Il ne faut pas accepter l’inacceptable ».
Outre la médaille des évadés de guerre, il est officier de la Légion d’Honneur et chevalier des Palmes Académiques.
Dans Ouest-France du 21 avril 2024, dans son article « Pourquoi se souvenir des années sombres ? », Philippe Boissonnat écrit « Aucune commémoration n’épuisera le champ de la connaissance historique. En revanche, le témoin peut susciter une émotion précieuse pour nous donner envie d’être curieux et d’en savoir davantage. Et l’historien entre alors en scène, permettant de dépasser les à peu près des souvenirs et de toucher du doigt la complexité du réel. »
Michel Montalétang
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